Quel avenir pour les instituts d'urbanisme ?

Publié le 23 Septembre 2009

L’offre de formation aux métiers de l’urbanisme et, plus largement, du développement territorial, est abondante en France. Aux côtés des instituts d’urbanisme et des UFR de géographie, qui délivrent les diplômes d’urbanistes en France, les écoles d’architectures, les écoles de commerce, les écoles d’ingénieurs et les instituts d’études politiques proposent également des formations spécialisées dans ces domaines. À titre de comparaison européenne, la formation aux métiers de l’urbanisme en Espagne ou en Italie reste l’apanage des écoles d’ingénieur ou d’architecture. Ainsi, l’existence d’instituts d'urbanisme en France est une des caractéristiques de l’autonomie professionnelle de l’urbanisme sur les architectes et ingénieurs qu’il convient d’évaluer et d’améliorer.

 

Vous avez dit institut d'urbanisme ?

 

Les instituts d'urbanisme sont des structures plus ou moins autonomes, le plus souvent rattachées à des universités (mais aussi à des écoles d'ingénieurs ou à des instituts d'études politiques), de formation et de recherche en urbanisme. L'Association pour la promotion de l'enseignement et de la recherche en aménagement et urbanisme (APERAU) les fédère en France. Dix-neuf instituts (voir liste) sont recensés sur le territoire national par cette association avec des degrés d'autonomie très différents d'une structure à l'autre.

L'adhésion à l'APERAU suppose le respect d'une charte dont les traits principaux sont les suivants :

 

  • qualité et cohérence des enseignements proposés
  • maintien de la lisibilité du champ de l’aménagement et de l’urbanisme, notamment par le caractère explicite de l’intitulé des diplômes
  • méthodes d'enseignement fondées sur l’interdisciplinarité et la construction d’une culture commune
  • éléments substantiels d’enseignement interdisciplinaire, un stage en milieu professionnel de trois mois au minimum, un travail personnel débouchant sur la rédaction d’un mémoire et un atelier professionnel, de préférence sur commande
  • composition d’un corps enseignant interdisciplinaire qui permette la participation effective des professionnels de l’aménagement et de l’urbanisme au contenu des formations au côté des universitaires et assimilés
  • recrutement pluridisciplinaire des candidats (architecture, droit, économie, géographie, histoire, sciences de l'ingénieur, sociologie, etc.)
  • le souci de développer la recherche et d’intégrer les apports de la recherche à l’enseignement

 

Premier constat, seuls cinq instituts se sont vus reconnaître une réelle capacité de gestion administrative et financière. L'Institut d'urbanisme de Paris (IUP), l'Institut français d'urbanisme (IFU), bénéficient du régime de l'article 33 de la loi du 26 janvier 1984 sur l'enseignement supérieur. L'Institut d'urbanisme et d'aménagement régional (Aix-en-Provence), l'Institut d'urbanisme de Grenoble et l'Institut d'urbanisme de Lyon ont été érigés en unités de formation et de recherche (UFR). Certains instituts ne sont au mieux que des départements dans une UFR, au pire de simples de diplômes voire des spécialités d'une mention de master[1] sans réelle autonomie.

Deuxième constat, la lisibilité de ces structures, ne serait-ce que par le nom, n'est pas assurée. Certains sont anonymes et ne sont que des diplômes dans une structure plus vaste (UFR de géographie, département d'école, etc.). Seule l'adhésion à l'APERAU révèle pour l’instant le statut particulier des formations proposées sans réelle visibilité pour les étudiants et professionnels.

Troisième constat, les diplômes sont mal identifiés par la communauté professionnelle, notamment par une dénomination chaotique. Ainsi diverses appellations se côtoient : « urbanisme », « urbanisme et aménagement », « géographie et aménagement », « villes et territoires », etc. Ce foisonnement sémantique rend extrêmement difficile l'identification et la comparaison des formations pour les étudiants et les professionnels.

Quatrième constat, les ex-DESS[2] d’urbanisme reconnus par l’APERAU présentaient la particularité de se dérouler sur deux années universitaires contrairement aux DESS d’autres disciplines qui se déroulaient sur un an. Les étudiants étaient donc diplômés après six ans d’études supérieures. Cette année supplémentaire garantissait la solidité d’une formation dense et exigeante. Le passage aux diplômes de master a imposé un retour à une formule plus classique sur cinq ans dont les effets ont été très inégaux d’un institut à l’autre, certains n’ayant pu garantir la même qualité de formation avec une perte sèche d’une année d’études.

Cinquième constat, la pluridisciplinarité est plus ou moins appliquée d'un diplôme à l'autre, dans le recrutement des étudiants, des enseignants et parfois même dans les enseignements. Ainsi certaines formations, notamment celles n'ayant pu s'autonomiser par rapport à une discipline particulière, peinent à recruter des profils diversifiés (enseignants et étudiants) et à proposer une offre d'enseignement allant au-delà de leur discipline principale (cas des formations issues de la géographie notamment).

Pour autant, les principes de la charte de l’APERAU effectuèrent un premier tri dans l’offre abondante des diplômes d’urbanisme en France, gage d’une certaine qualité de formation. Les multiples allers-retours entre enseignements théoriques et activités pratiques permettent indéniablement de développer tout au long du cursus des dispositions et aptitudes à haute valeur ajoutée sur le marché du travail : esprit critique, prise de recul et mise en situation professionnelle (stages, ateliers sur commande réelle). La pluridisciplinarité permet une remise à niveau intellectuelle des étudiants dont le niveau de culture générale sur la ville et les institutions (État, collectivités territoriales) est très disparate à leur entrée de cursus.

Les instituts présentent aussi la particularité d’être sélectifs dès la troisième année de licence ou la première année de master, certains choisissent également de ne sélectionner qu’à partir de la deuxième année de master, comme les textes ministériels l’exigent. La majorité des formations universitaires issues d’autres disciplines ne sélectionnent qu’à partir de la deuxième année de master[3]. Toutefois la tendance est à une sélection en première année master, sans positionnement clair du Ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche. Les sélections se font sur la base d’un dossier (bulletins de notes, lettre de motivation, lettres de recommandation, etc.), d’un examen écrit (parfois) et d’un entretien oral avec un jury d’admission.

Au demeurant, il s’avère tout de même difficile d’évaluer l’audience du « label » APERAU sur le placement des diplômes des instituts d’urbanisme, d’autant plus que les diplômés d’écoles d’ingénieurs et d’architecture continuent d’occuper des postes à responsabilité dans le domaine de l’urbanisme, sans former explicitement, pour la plupart d’entre-elles, des urbanistes.

 

Quelles pistes à suivre pour les instituts d’urbanisme ?

 

Le bilan de ces structures est donc mitigé. Elles représentent une exception intéressante dans le monde universitaire mais semblent ne pas profiter entièrement de leurs avantages. Ce modèle mérite d’être renforcé et élargi en intégrant notamment l’insertion professionnelle de ses diplômés comme objectif de réussite.

 

Proposition 1 : garantir l’autonomie des instituts d’urbanisme

 

Pour être reconnu et se faire reconnaître, un institut d’urbanisme doit avoir la capacité de se gérer, depuis la définition de ses propres moyens matériels (locaux, site internet, charte graphique, etc.), jusqu’à son autonomie financière, administrative et intellectuelle. Il ne s’agit pas de tourner le dos à l’université pour se changer en ersatz de grande école, mais plutôt de coordonner les avantages de chaque échelon administratif d’un établissement aussi imposant qu’une université, et plus encore maintenant avec les pôles de recherche et d’enseignement supérieur (PRES). L’institut peut ainsi tirer son épingle du jeu et éviter de tomber dans l’anonymat d’un établissement pouvant accueillir jusqu’à plusieurs dizaines de milliers de personnes.

 

Proposition 2 : Clarifier les dénominations

 

Pour être visible, il faut être lisible. La réforme LMD a donné une inflation sans précédent des noms de formations avec les domaines, mentions, spécialités et parcours. Au final, l’étudiant et le recruteur sont plus confus qu’ils ne l’étaient avant la réforme. Il convient de consacrer un nom de mention clair : « Urbanisme » reconnaissable par tous.

L’expression même « institut d’urbanisme » doit devenir la référence pour identifier les structures, à l’image des écoles nationales supérieures d’architecture et des instituts d’études politiques. Chaque grand établissement formateur pourrait donc avoir son institut d’urbanisme (Paris, Lyon, Lille, Aix-Marseille, Bordeaux, Toulouse, Nantes, Strasbourg, Montpellier, etc.) reconnu comme structure de référence dans la région pour former des urbanistes.

 

Proposition 3 : suivre et améliorer l’insertion professionnelle des urbanistes diplômés

 

Les instituts d’urbanisme doivent mettre en place des dispositifs de suivi et de promotion de l’insertion professionnelle, qui incluent également les débouchés liés à la recherche. Il s’agit de monter un service chargé de l’emploi et de l’insertion professionnelle capable de recueillir les offres d’emploi et de stage, de promouvoir l’institut auprès des futurs employeurs et de suivre l’insertion professionnelle de ses diplômés. Ce travail nécessite un personnel de qualité, ayant suivi des études supérieures dans un domaine proche de celui de la gestion d’un établissement de formation supérieure. 

Les associations de diplômés doivent impérativement se développer pour participer à cette promotion et mettre en place des annuaires des anciens, outils indispensables pour la recherche d’emploi et la constitution d’un réseau professionnel efficace, coordonnés avec le référentiel métier de l’OPQU[4] pour faciliter les enquêtes sur l’insertion des urbanistes.

 

Proposition 4 : Élaborer une charte nationale des instituts d’urbanisme

 

À l’image du premier travail effectuée par l’APERAU, il faut désormais conforter les principes d’une formation de qualité en urbanisme par une charte permettant la délivrance exclusive du nom « institut d’urbanisme » aux structures signant et respectant la charte dans son intégralité. Cette charte devra être élaborée en partenariat avec l’ensemble des acteurs impliqués dans le domaine de l’urbanisme (établissements, organisations professionnelles, entreprises, étudiants, institutions) et le respect de ses principes devra être évalué par une ou plusieurs structures indépendantes des établissements d’enseignement supérieur (OPQU, SFU, journaux, etc.).

 

Proposition 5 : Renforcer la formation initiale des urbanistes

 

Le passage au système LMD a supprimé une année complète de formation. Les instituts doivent faire preuve d’innovation pédagogique pour que cette perte de temps de formation ne se traduise pas par une baisse de qualité des diplômes. Les possibilités sont nombreuses[5].

Il convient également de resserrer ou établir le lien entre les directions des instituts d’urbanisme et l’OPQU afin d’engager un travail de diagnostic sur la pertinence de l’offre de formation à l’échelle nationale sans toutefois soustraire les instituts aux aléas de court terme de l’actualité du domaine.

 

Proposition 6 : positionner les instituts au cœur des débats sur l’urbanisme

 

Les instituts doivent être au cœur de l’urbanisme par des dispositifs de formation continue, l’organisation d’évènements (colloques, conférences, rencontres professionnelles). Ces dispositifs sont le fondement de la visibilité et de la reconnaissance des instituts par le milieu professionnel (entreprises, organismes publics, organismes de recherche, etc.).

 

La formation continue est encore peu développée dans les universités. Elle permet pourtant de conforter la qualité des urbanistes diplômés, de faire connaître l’organisme formateur et de générer des revenus complémentaires très utiles. Les instituts d’urbanisme peuvent donc créer des dispositifs de formation pour les professionnels en activités dont certains pourraient venir puiser directement dans l’offre de formation initiale et permettre une mutualisation.

 

Proposition 7 : Développer les partenariats multiples

 

Une bonne insertion professionnelle des diplômés ne peut se faire sans un bon réseau de partenaires. La réforme LMD a déjà permis le tissage de nombreuses cohabilitations entre universités et grands établissements. Cette piste est encore à creuser et la constitution de pôles de recherche et d’enseignement supérieur (PRES) pourrait contribuer à une meilleure intégration des instituts d’urbanisme, uniquement si ces derniers pérennisent leur autonomie.

 

Toutefois les seules collaborations entre établissements de formation et de recherche ne sont pas suffisantes. Les directions des instituts d’urbanisme gagneraient à tisser des relations de confiance et de partage avec les instances fédératives de l’urbanisme sans qu’une partie ne soit inféodée à l’autre. Il faut élever le débat au-dessus du cliché de l’opposition frontale entre professionnels et enseignants-chercheurs.

 

Relancer le chantier sur un terrain partiellement défriché

 

« Le statut d'un institut fonde notamment son aptitude à nouer des partenariats avec d'autres instances de formation, mais aussi avec les divers acteurs locaux, collectivités, milieux professionnels. Un institut ne peut exister, par exemple dans les débats d'agglomération ou régionaux, sur des projets d'aménagement ou des projets de territoires, que s'il est facilement repérable au sein d'un système universitaire, souvent lui-même perçu comme confus et complexe de l'extérieur. Il est beaucoup plus facile à un institut d'avoir un projet et de diversifier ses missions s'il est identifié par les milieux professionnels et les chercheurs, comme une véritable institution s'exprimant à travers une direction, un conseil d'administration ouvert à des personnalités extérieures, et en capacité de passer des conventions, de nouer des partenariats, etc. Bref, au-delà de leur existence juridique, il est important que les instituts d'urbanisme aient "pignon sur rue". Expression qui doit s'entendre au sens propre des termes et qui suppose que les instituts d'urbanisme seront d'autant plus repérables qu'ils posséderont, par exemple, leurs propres locaux. »

 

Rapport Frébault-Pouyet sur les formations à l’urbanisme et l’aménagement, janvier 2006

 

Un premier rapport de Jean Frébault et Bernard Pouyet, publié en janvier 2006 est resté lettre morte au Ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche. Cet article ne fait que reprendre les éléments de diagnostic et de mettre à jour les propositions d’amélioration. L’actualité récente sur la fermeture de l’accès au concours d’ingénieur territorial option urbanisme pour les diplômés de masters d’urbanisme (ce qui est un comble), la multiplication des formations à l’urbanisme dans les grandes écoles et les écoles d’architecture ainsi que la difficulté de certains diplômés d’instituts à s’insérer aisément dans le marché du travail sont autant d’avertissements sur l’impératif de dynamisme dont les instituts d’urbanisme doivent faire preuve.

L’APERAU a accompli un important travail préliminaire d’affirmation des instituts d’urbanisme qu’il convient d’approfondir, d’améliorer et de faire porter par l’ensemble de la communauté professionnelle des urbanistes, de l’étudiant au retraité, quel que soit le type d’exercice (voir référentiel OPQU).

Beaucoup partagent tout ou partie de ce diagnostic et de ces propositions. Ce court papier n’a pas pour ambition d’innover dans son contenu. Il appelle chaque membre de la communauté des urbanistes à se mobiliser pour la qualité des formations en urbanisme et l’insertion professionnelle des diplômés d’instituts d’urbanisme.

 

Les dix-neuf instituts d'urbanisme en France

 

·         Institut d'urbanisme et d'aménagement régional (Université Paul Cézanne Aix-Marseille III)

·         Institut de tourisme, d'aménagement et d'urbanisme (Université Michel de Montaigne Bordeaux III)

·         Institut de géoarchitecture (Université de Bretagne occidentale)

·         Institut d'urbanisme de Grenoble (Université Pierre-Mendès-France Grenoble II)

·         Institut d'aménagement et d'urbanisme de Lille (Université Lille I Sciences et technologies)

·         Institut d'urbanisme de Lyon (Université Lumière Lyon II)

·         Institut de géographie et d'aménagement régional de l'Université de Nantes

·         Mastère spécialisé aménagement et maîtrise d'ouvrage urbaine (École nationale des ponts et chaussées)

·         Cycle d'urbanisme de Sciences Po (Sciences Po Paris)

·         Magistère aménagement et Master urbanisme et aménagement (Université Paris I Panthéon-Sorbonne)

·         Institut d'urbanisme et d'aménagement de Paris-Sorbonne (Université Paris IV Paris-Sorbonne)

·         Institut français d'urbanisme (Université Paris-Est Marne-la-Vallée)

·         Institut d'urbanisme de Paris (Université Paris XII Val de Marne)

·         Licence aménagement et Master urbanisme, habitat et aménagement durable des territoires (Université de Perpignan Via Domitia)

·         Institut d'aménagement du territoire et d'environnement de l'Université de Reims (Université Reims-Champagne-Ardenne)

·         Institut d'urbanisme de Rennes (Université Rennes II Haute Bretagne)

·         Master aménagement et collectivités territoriales et Master villes, territoires et sociétés (Université Rennes II Haute Bretagne)

·         IUP aménagement et développement territorial et Master villes, habitat et politiques d'aménagement (Université Toulouse II Le Mirail)

·         Département aménagement, École polytechnique de l'Université de Tours (Université François Rabelais Tours)

 



[1] La réforme LMD a fixé le schéma suivant pour le diplôme national de master :

·          un domaine correspondant généralement à l’univers disciplinaire dans lequel le diplôme s’inscrit (« arts, lettres et langues », « sciences humaines et sociales », « sciences et technologies », etc.)

·          une mention correspondant à la discipline ou au domaine professionnel (droit, histoire, sciences de l’ingénieur, sociologie, etc.)

·          une spécialité caractérisant la branche dans laquelle le diplôme souhaite former (biologie marine, droit public, économie du développement, etc.)

·          un parcours, dont la création est facultative, permettant de créer des sous-spécialités (noms très variables d’un diplôme à l’autre)

 

[2] Avant la réforme LMD (Licence – Master – Doctorat), le système universitaire français proposait le schéma de formation suivant :

·          DEUG (Bac +2)

·          Licence (Bac +3)

·          Maîtrise (Bac +4)

·          DESS/DEA (Bac +5)

·          Doctorat (Bac +8)

[3] Cette sélection à mi-parcours du master est un reliquat de l’architecture des diplômes nationaux d’avant réforme LMD. Elle correspond au niveau d’entrée en DESS ou DEA.

 

[4] L’Office professionnel de qualification des urbanistes (OPQU) a élaboré un référentiel des métiers dont le rôle est d’identifier et de caractériser toute la diversité du métier d’urbaniste. Ce référentiel peut servir de base  de classification pour réaliser des enquêtes statistiques sur l’insertion des diplômés en urbanisme (http://www.opqu.org/upload/opqu_referentiel_urba.pdf).

 

[5] Densification des volumes horaires (si le budget et le temps le permettent), création de diplômes de spécialisations (diplômes universitaires, mastères spécialisés, etc.), etc.

Rédigé par Clm

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