Quand les universités innovent : tordre le cou aux idées reçues sur l’université en trois leçons

Publié le 7 Octobre 2010

L’université forme trop de monde, l’université n’est pas assez technique, l’université n’est pas professionnalisante, l’université est anonyme, l’université est pauvre. Pour sortir du TSU (tout sauf l’université), voici quelques exemples de belles réussites innovantes pour mettre en valeur les qualités intrinsèques de la formation universitaire.

 

Leçon n°1 : Les instituts et écoles au sein des universités

 

Pour contourner le cadre administratif traditionnel « université à unité de formation et de recherche (UFR) àDépartement », certains départements ou UFR ont décidé de gagner en autonomie ou lisibilité en créant des instituts ou des écoles, structures rattachées à une université mais dont le nom et la lisibilité leur permettent de s’affirmer individuellement.

 

Les deux exemples les plus emblématiques sont la création des instituts d’administration des entreprises (IAE) et des instituts d’études politiques (IEP).

 

Les instituts d’administration des entreprises rivalisent avec les écoles de commerce

 

Les premiers ont vu le jour à partir de 1957, sous l’impulsion du Professeur Goetz, fondateur de l’Institut d’administration des entreprises de Paris, actuellement rattaché à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne[1]. Ce sont, des établissements publics à caractère administratif (EPA), rattachés aux universités, d’enseignement et de recherche en gestion ; des « écoles universitaires de management », selon le site internet du réseau des IAE.

 

Carte-IAE.PNG

 

Avec 31 instituts sur tout le territoire français, le modèle des IAE présente les caractéristiques suivantes :

  • Sélection des candidats à l’entrée par un test commun, le « Score IAE-message »
  • Une offre complète de formations comprenant des licences, licences professionnelles, masters, MBA, diplômes d’université et doctorats
  • Une forte interaction avec le milieu professionnel (intervenants, sponsoring, formation continue)
  • La présence de laboratoires de recherche en sciences de gestion
  • Des coûts de diplômes comparables aux diplômes universitaires classiques (avec toutefois des variations, parfois fortes, d’un IAE à l’autre)

 

Progressivement les IAE se sont imposés dans le paysage de l’enseignement supérieur français, avec de franches réussites comme l’Institut d’administration des entreprises d’Aix-en-Provence, classé parmi les bonnes écoles de commerce françaises.

 

Les instituts d’études politiques : une autre manière d’étudier les sciences sociales

 

À l’exception de l’Institut d’études politiques de Paris (Sciences Po), qui est un grand établissement autonome, les huit IEP de province[2], fondés après 1945, sont rattachés à des universités, par convention. Très sélectifs, formant à l’origine des diplômés de niveau Bac+3 ou Bac+4, les IEP sont entrés récemment dans le schéma européen « Licence – Master – Doctorat ». Leur réseau est moins structuré que celui des IAE, toutefois, six IEP[3] proposent un concours commun. Leur offre de formation dépasse les seules sciences politiques : administration, économie, droit, histoire, sociologie, etc. Leur approche est résolument pluridisciplinaire, avec la spécificité d’imposer plusieurs stages et une année d’étude à l’étranger dans le cursus. Les étudiants obtiennent deux diplômes à leur sortie :

 

  • le diplôme de l’IEP où ils ont suivi leurs cours, comprenant un premier cycle de trois ans et un second cycle de deux ans.
  • un des diplômes nationaux de masters proposé par l’institut ou parfois par un établissement partenaire (autre IEP, établissement, voire université étrangère).

 

Ainsi être diplômé d’un IEP permet à la fois de posséder un diplôme d’établissement spécifique, vecteur d’image et d’une valeur ajoutée propre aux IEP, et un diplôme national de master, permettant à l’étudiant de faire reconnaître son cursus, en France et à l’étranger.

 

Les écoles créées dans le cadre des réseaux thématiques de recherche avancée

 

Sans reproduire un article précédent sur ce thème, la loi n°2007-1199 du 10 août 2007 relative aux libertés et aux responsabilités des universités, permet la création de fondations de coopération scientifique, dont les pôles de recherche et d’enseignement supérieur (PRES) et les réseaux thématiques de recherche avancée (RTRA) font partie. Les RTRA permettent de réunir sous une même bannière, plusieurs établissements, diplômes et laboratoires, autour d’une discipline. Par exemple, en économie, l’École d’économie de Toulouse (ou Toulouse school of economics) et l’École d’économie de Paris (ou Paris school of economics) ont vu le jour sous ce statut leur permettant de mettre en avant l’excellence académique de leurs cursus et laboratoires.

 

Leçon n°2 : Les nouveaux diplômes ou les diplômes complémentaires

 

La structuration administrative des diplômes présente l’avantage de rendre plus lisible le paysage de l’enseignement supérieur européen. Le schéma «  Licence – Master – Doctorat » jalonne le parcours de l’étudiant avec l’obtention de diplômes aux niveaux Bac+3, Bac+5 et Bac+8. Le talon d’Achille de cette reconnaissance commune est l’uniformisation. Cette uniformisation gomme les spécificités de chaque établissement alors que le diplôme, document hautement symbolique, peut être un fort vecteur de communication et un élément clé dans l’attractivité d’un établissement.

 

Les grandes écoles et les grands établissements ont compris tôt cette particularité en conservant jalousement leurs cursus spécifiques : Cursus Grande école, Diplôme de l’École normale supérieure, Diplôme de l’École des hautes études en sciences sociales, Diplôme de Sciences Po, etc.

 

Au sein de l’université, dès les années 80, l’idée de compléter l’offre universitaire classique s’est manifestée avec :

§         Les instituts universitaires professionnalisés (IUP), diplômes professionnels de niveau Bac+4, formant des « ingénieurs-maîtres » sur trois ans (recrutement à niveau Bac+1).

§         Les  maîtrises des sciences et techniques (MST), diplômes de niveau Bac+4 sur deux ans (recrutement à niveau Bac+2).

§         Les magistères, diplômes de niveau Bac+5 sur trois ans (recrutement à niveau Bac+2)

§         Les diplômes d’universités (DU), diplômes de niveau variables selon les cursus proposés

 

La création de ces diplômes a permis aux formateurs de compléter des cursus contraints par les moyens, le temps et généralement peu ou pas sélectifs. La plupart de ces diplômes sont très demandés par les étudiants et l’examen d’admission peut être très difficile. Cependant, leur architecture s’insérant mal dans le nouveau schéma LMD, leur existence est menacée et certains ont été supprimés pour mieux correspondre au cadre européen[4].

 

À titre d’exemple, l’Université Panthéon-Assas Paris 2, vient de créer le diplôme d’université « Collège de droit »[5]. Ce diplôme de niveau Bac+3 est un complément à la licence de droit délivrée par l’université parisienne. Voulu comme hautement sélectif, il propose un cursus d’excellence au sein de l’université pour les meilleurs étudiants inscrits en licence de droit, en leur proposant une offre pluridisciplinaire de cours complétant leur formation juridique. Ce type de filière présente cependant le désavantage de créer un cursus de licence à deux vitesses pour les étudiants, avec d’un côté les meilleurs éléments, autorisés à cumuler deux diplômes et de l’autre les étudiants n’obtenant que la licence (la grande majorité des diplômés). Ainsi, l’Université Paris 2 contourne les textes ministériels interdisant la sélection à l’entrée de la première année du diplôme de licence.

 

 

Leçon n°3 : Les doubles-diplômes

 

Une autre solution pour muscler le cursus universitaire est de cumuler deux diplômes sans multiplier le nombre d’années d’études. De fait, certains étudiants, notamment ceux issus des classes préparatoires, n’hésitent pas à s’inscrire dans deux licences, en ne passant que les examens terminaux pour l’un des deux diplômes.

 

Afin de mieux organiser ce cumul de fait, plusieurs universités ont créé des double-cursus. La réforme LMD, en permettant les parcours différenciés au sein d’une même licence, a déjà permis de panacher la formation avec des parcours bi-disciplinaires. Cependant, l’étudiant n’obtient au final qu’un seul diplôme dans sa discipline majeure. Les doubles-diplômes, au niveau licence, permettent à l’étudiant de panacher son parcours et de s’ouvrir plus de possibilités pour la poursuite en master par l’obtention de reconnaissances sur deux disciplines différentes.

 

Les innovations les plus récentes à ce sujet ont été la création de doubles-diplômes de niveau licence entre une université et un grand établissement. Ainsi par exemple, l’Université Paris-Sorbonne Paris 4 et Sciences Po ont créé trois doubles-diplômes en sciences sociales et histoire, sciences sociales et lettres, sciences sociales et philosophie. À l’issue de ce cursus sélectif, les étudiants de chaque établissement obtiennent le diplôme de Bachelor de Sciences Po (diplôme d’établissement de niveau Bac +3) et une licence d’histoire, de lettre ou de philosophie de l’Université Paris-Sorbonne Paris 4, selon la filière choisie.

 

Au niveau master, dans une moindre mesure, il existe aussi des doubles-diplômes. Les grandes écoles et les grands établissements s’illustrent plus que les universités à ce sujet avec une tradition[6] de double-cursus avec des établissements étrangers et plus récemment en créant des doubles-diplômes, le plus souvent entre grandes écoles et non avec des universités.

 

Au sein des universités, le jeu des cohabilitations permet d’apposer plusieurs sceaux sur un seul et même diplôme de master et notamment ceux de grandes écoles qui voient dans ces masters la possibilité pour leurs diplômés d’accéder ensuite au doctorat ou de bénéficier d’une double-compétence. Les masters « Erasmus mundus », sont un autre exemple et permettent, toujours en obtenant un seul et même diplôme, de suivre des cours dans plusieurs (trois, voire quatre) universités européennes. Cependant aucune de des formules ne permet d’obtenir deux diplômes.

 

Peu d’universités offrent actuellement de véritables doubles-diplômes. L’Institut d’administration des entreprises de Lyon (Université Jean Moulin Lyon 3) propose par exemple un double-diplôme avec l’Université de Pavie (Italie) ; L’Université Panthéon-Sorbonne Paris 1 propose également un double-diplôme avec l’Université de Cologne (Allemagne) en droit. Trop peu encore en proposent entre deux établissements français.

 

 

Et les instituts d’urbanisme ?

 

Dans ces innovations proposées, les instituts d’urbanisme ont une position intermédiaire. L’Association pour la promotion de l’enseignement et de la recherche en aménagement et urbanisme (APERAU) a créé un réseau francophone de formations supérieures en urbanisme. Au sein de cette association regroupant vingt-quatre membres, coexistent une dizaine d’instituts d’urbanisme dont les dénominations sont encore aléatoires, mais permettent de détacher les formations en urbanisme du reste des cursus proposés au sein de l’université.

 

En revanche, dans les cursus, peu proposent des nouveautés. Certains comme l’Université Panthéon-Sorbonne Paris 1, ou l’Institut d’urbanisme et d’aménagement de l’Université Paris-Sorbonne (Paris 4) offrent toujours des diplômes de magistère, appréciés particulièrement par les élèves de classes préparatoires aux grandes écoles (CPGE). Un des membres de l’APERAU, le Département Aménagement (ex-Centre d’études supérieures d’aménagement) de l’École d’ingénieurs polytechnique de l’Université de Tours (Polytech’Tours) a même fermé son Magistère d’aménagement  après la réforme LMD, pour passer à un diplôme d’ingénieur en génie de l’aménagement ; une décision qui a par ailleurs rencontré un accueil plutôt froid au sein de la communauté des urbanistes (voir ici).

 

Les instituts d’urbanisme sont donc à la croisée des chemins. Le réseau monté par l’APERAU montre ses limites (les effets du sigle de l’association sur l’organisme peut-être…) et l’offre de formation a plus ou moins bien passé l’examen de la réforme LMD. À l’image des IAE, des IEP ou des RTRA, les instituts d’urbanisme gagneraient à se nourrir des expériences de ses voisins et proposer rapidement une organisation renouvelée sous peine de rester sur le bord de la route des recompositions s’opérant sur le thème de l’urbanisme, comme à la Cité Descartes par exemple.



[1] L’Institut d’administration des entreprises de Paris a toutefois demandé récemment son transfert à l’Université Paris-Dauphine (voir cet article des Échos).

[2] Les neuf instituts d’études politiques français sont les suivants :

§          IEP de Paris (Sciences Po), fondé en 1872

§          IEP de Strasbourg (Université de Strasbourg), fondé en 1945

§          IEP de Bordeaux (Université Montesquieu Bordeaux 4), fondé en 1948

§          IEP de Grenoble (Université Pierre Mendès-France Grenoble 2), fondé en 1948

§          IEP de Toulouse (Université Capitole Toulouse 1), fondé en 1948

§          IEP d’Aix-en-Provence (Université Paul Cézanne Aix-Marseille 3), fondé en 1956

§          IEP de Lille (Université Charles de Gaulle Lille 2), fondé en 1991

§          IEP de Rennes (Université Rennes 1), fondé en 1991

[3] Aix, Lille, Lyon, Rennes, Strasbourg et Toulouse.

[4] Les diplômes de niveau intermédiaire, IUP et MST, ont été particulièrement touchés par la réforme LMD. La plupart ont disparu ou sont devenus de simples parcours tronqués dans les cursus de licence et de master.

[5] À l’image des écoles ou instituts universitaires, l’Université Panthéon-Assas Paris 2 vient de créer pour la filière droit :

§          Le Collège de droit, offrant le diplôme universitaire « Collège de droit », complétant la licence de droit

§          L’École de doit et de Management de Paris, offrant le diplôme de MBA « Droit des affaires et management »

[6] Les premiers établissements français qui ont autorisé des doubles-cursus sont :

§          l’École polytechnique, en proposant des écoles d’application en dernière année du diplôme d’ingénieur (X-mines, X-ponts, X-ENSTA, etc.).

§          les écoles normales supérieures, en imposant dans leur cursus en plus des cours de l’ENS, l’obtention d’un diplôme de niveau Bac+5 dans un établissement partenaire.

Rédigé par Clm

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